Dilectae / Aurélia Frey
Aurélia arrive au musée Balzac, château de Saché, un premier jour de juin. C’est en début d’après-midi. On ressent déjà les signes de la canicule de l’été 2018. Dès les premiers instants, elle commence à s’enivrer de l’atmosphère des lieux et à se détacher d’une approche littérale de l’œuvre balzacien. Les jours suivants, munie de son imposant sac à dos surchargé de matériel photographique, elle arpente la vallée de l’Indre à la rencontre des habitants et de la nature. Puis elle jette son dévolu sur le roman Le Lys dans la vallée qui devient son livre de chevet. Fascinée par son héroïne, Blanche-Henriette de Mortsauf, cette femme vertueuse jusqu’à la folie, elle cherche à explorer son histoire. Elle marche alors sur les pas de Balzac.
Dans l’église de Saché, elle découvre une plaque funéraire et son épitaphe en latin, hommage à la pieuse Marguerite de Rousselé (1608-1628), fille des propriétaires du château de Saché morte en odeur de sainteté. Elle y est qualifiée de Dilecta (« bien-aimée »). De là, elle fait la connaissance de Laure de Berny (1777-1836), premier amour de Balzac, nommée Dilectae dans sa dédicace au roman Louis Lambert mûri à Saché pendant l’été 1832 : Et nunc et semper dilectae dicatum (« À la chère entre toutes, pour maintenant et pour toujours »). Puis elle comprend qu’Henriette est le filigrane vertueux de Laure. Mme de Mortsauf, mariée, mère de deux enfants pour lesquels elle est prête à tout sacrifier, tombe amoureuse du jeune Félix de Vandenesse, l’un des « fantômes du miroir » du romancier lui-même… Mais Henriette choisit de ne pas succomber aux plaisirs charnels. Elle propose à Félix un amour platonique. Jusqu’au jour où la jalousie la dévore, au point de se laisser mourir, rongée par les regrets. Ce sont ces derniers instants qu’Aurélia a souhaité dévoiler à travers les photographies exposées au musée Balzac du 1er septembre au 15 novembre 2018.
Au fil de ses pérégrinations dans la vallée de l’Indre et de ses incursions dans les châteaux qui ont inspiré Clochegourde, Aurélia nous livre les souvenirs et les visions d’Henriette. Lorsqu’elle parcourt les chemins, elle s’engouffre dans les fossés et les prairies pour collecter, à la manière de Félix, ces fleurs sauvages, fragiles et subtiles, qui composent les bouquets offerts à Henriette et qui témoignent d’un amour fugace. Chaque soir, au retour de ses excursions dans la campagne tourangelle, elle les fait sécher et, par la magie de la boîte noire, les transforme en souvenirs éternels d’une passion inavouée. Les herbiers photographiques d’Aurélia sont la trace de l’amour pur et sincère qu’Henriette a éprouvé pour Félix. Leur transparence, leurs couleurs et leurs formes multiples révèlent la véritable nature de l’héroïne, submergée par la confusion des sentiments au seuil de la mort.
En 2019, le Conseil départemental d’Indre-et-Loire a fait l'acquisition, pour le musée Balzac, de trois œuvres se rattachant à la symbolique des bouquets de fleurs dans le roman : une photographie d’un bouquet de coquelicots et deux albums photographiques. Elles sont présentées au deuxième étage du musée, dans la salle consacrée à la Touraine dans l'œuvre de Balzac.