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L'Apostrophe - Tours

L'ŒUVRE DE BALZAC ET LA TOURAINE

Les Contes drolatiques

 

 

Cette courte nouvelle fait partie du premier tome des Contes drôlatiques dont plusieurs sont localisés en Touraine. En hommage aux Songes drôlatiques attribués au voisin Rabelais, Balzac les écrit en simili ancien français. Si plusieurs lieux sont évoqués, on relèvera plus particulièrement la description de la rue natale du narrateur, qui n’est autre que la rue natale d’Honoré de Balzac (aujourd’hui la rue Nationale à Tours).

 

Ores c’estoyt, notez, par une belle nuict d’hyver ; la rue Montfumier aboutit à la Loire, et, dans ce pertuys citadin s’engouffrent, mesmes en esté, des vents picquans comme ung cent d’esguilles.

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Ores, ung beau iour, ledict Carandas revint en Touraine avecques force deniers qu’il rapporta des pays de Flandres, où il avoit trafficqué de ses secrets méchaniques. Il achepta un beau logiz dans la rue Montfumier, lequel se veoit encores et faict l’estonnement des passans, pour ce que il ha des rondes-bosses bien plaisantes praticquées sur les pierres des murs.

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Doncques, en revanche, il estoyt treuvé par le bon mary que ses deux gars ressembloyent à ung sien oncle, iadis prebstre à Nostre-Dame de l’Esgrignolles ; mais pour aulcuns diseurs de gogues, ces deux marmots estoyent les pourtraictures vivantes d’ung gentil tonsuré, desservant de Nostre-Dame la Riche, célèbre paroësse située entre Tours et le Plessis.

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Et cela estoyt vray, comme il est vray que Tours ha esté et sera tousiours les pieds dedans la Loire, comme une iolie fille qui se baigne et ioue avecques l’eaue, faisant flicq flacq en fouettant les ondes avecques ses mains blanches : car ceste ville est rieuse, rigolleuse, amoureuse, fresche, fleurie, perfumée, mieulx que toutes les aultres villes du monde, qui ne sont pas tant seulement dignes de luy paigner ses cheveux, ni de luy nouer sa ceincture. Et comptez, si vous y allez, que vous luy treuverez, au milieu d’elle, une iolie raye, qui est une rue délicieuse où le monde se pourmène, où tousiours il y ha du vent, de l’umbre et du soleil, de la pluye et de l’amour. Ha ! ha ! riez doncques, allez-y doncques ! C’est une rue tousiours neufve, tousiours royale, tousiours impériale, une rue patrioticque, une rue à deux trottoirs, une rue ouverte des deux bouts, bien percée, une rue si large que iamais nul n’y ha crié : Gare ! une rue qui ne s’use pas, une rue qui mène à l’abbaye de Grant-Mont et à une tranchée qui s’emmanche trez-bien avecques le pont, et au bout de laquelle est ung beau champ de foire ; une rue bien pavée, bien bastie, bien lavée, propre comme ung mirouer, populeuse, silencieuse a ses heures, cocquette, bien coëffée de nuict par ses iolis toicts bleus ; brief, c’est une rue où ie suis né ; c’est la royne des rues, tousiours entre la terre et le ciel, une rue à fontaine, une rue à laquelle rien ne manque pour estre célébrée parmi les rues ! Et, de faict, c’est la vraie rue, la seule rue de Tours. S’il y en ha d’aultres, elles sont noires, tortueuses, estroictes, humides, et viennent toutes respectueuses saluer ceste noble rue, qui les commande. Où en suis-je ? car une foys dans ceste rue, nul n’en veult yssir, tant plaisante elle est. Mais ie debvoys cette hommaige filial, hymne descriptive venue du cueur, à ma rue natale, aux coins de laquelle manquent seulement les braves figures de mon bon maistre Rabelais et du sieur Descartes, incogneus aux naturels du pays.

 

Nathanaël Gobenceaux (musée Balzac, Saché)

 

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