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Sténie - Tours

L'ŒUVRE DE BALZAC ET LA TOURAINE 

Œuvres de jeunesse

 

 

 

Ce texte inachevé (rédigé au début des années 1820) fait partie des œuvres de jeunesse de Balzac. Roman par lettres, il se passe en partie en Touraine. Ce texte, par certains points préfigure La Comédie humaine et servira de ressource pour d’autres romans (Louis Lambert, Séraphîta).

 

Entre la Loire et le Cher est une large plaine, non pas aride et sèche, mais bien verdoyante et sans cesse arrosée par l'espèce d'amitié souterraine que les ondes du fleuve ont contractée avec les eaux de la rivière ; à un tel point que l'eau dans certains endroits se trouve à deux pieds ; aussi les héritages multipliés qui se partagent la vallée sont-ils couverts d'une multitude de puits construits avec des tonneaux, luxe ignoré dans les jardins de Paris ; les nôtres sont entourés de hayes vives. L'activité de chacun dans son petit domaine, rempli d'arbres fruitiers, ajoute à l'air riant du vallon et rend son spectacle animé. Dans ce plateau désigné par la nature s'élève l'antique ville d’où je t’écris, où est ton amis : on la dit fondée par Turnus ; aussi je ne vois pas un corbeau voltiger en criant sur les tours de l'immense cathédrale sans penser qu'il a peut-être mangé des Sarrazins à leur défaite sous Charles-Martel ; tu vois que nous avons nos temps héroïques : il nous manque par malheur l'arbre auquel on attacha notre Saint-Martin et qu'il renversa d'un signe de croix du côté opposé, évitant le supplice qu'on lui destinait ; sans cela nous aurions nos reliques ; espérons qu'on retrouvera ce saint arbre pour l'honneur du christianisme.

La ville est ronde, et son côté septentrional a le plus bel aspect qui soit au monde,  il balance celui de Naples. La Loire extrêmement large semble couler devant la ville dans un canal taillé par un architecte. Lorsqu'une voile arrive, on la voit de loin, blanchâtre, on la suit à travers quelques îles, qui rompent la monotonie de ce vaste lac ; l'œil s'y joue et leur verdure repose ; on a la sensation profonde de la vue de la mer sans en avoir l'immense qui fatigue notre petitesse. L'activité du port, les cris des mariniers et la présence d'une brise fraîche rendent cette levée très agréable, car levée est le mot du pays ; elle est bordée d'un rang de peupliers magnifiques dont on entend le bruissement. Ils s'étendent de chaque côté de la ville partagée par le Pont et la rue qui s'est appelée successivement républicaine, impériale et royale ; ces arches dérobent les maisons et présentent un rideau majestueux interrompu par l'esplanade du pont, de manière qu'en arrivant de Paris on aperçoit entre ces deux péristyles de verdure, le commencement de la ville. J'ose dire qu'il est peu de capitales dont l'abord ait tant de dignité, car on a construit sur cette place deux vastes bâtiments d'un effet d'autant plus admirable que leur simple architecture est en harmonie avec le tableau. Là commence cette rue immuable à noms changeants ; c'est de cette place, de ce pont que l'on jouit du plus beau point de vue, à quelqu'endroit que l'on se mette.

 

Nathanaël Gobenceaux (musée Balzac, Saché)

 

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