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L'Excommunié - Rochecorbon

L'ŒUVRE DE BALZAC ET LA TOURAINE

Œuvres de jeunesse

 

 

Ce roman fait partie des œuvres de jeunesse de Balzac. L’auteur semble en rédiger une grande partie en 1824. Le texte est inachevé, terminé par MM de Belloy et Grammont, puis probablement revu par Balzac. Les environs de Tours y sont évoqués, notamment Rochecorbon, près de Vouvray,  lieu récurrent dans l’œuvre tourangelle de Balzac.

 

À trois milles environ de la ville de Tours, sur la levée d’Orléans, on remarque un énorme rocher creusé de telle façon, qu’il offre une vague ressemblance avec le croissant de la lune ; sur le sommet de l’arc, à la partie la plus éloignée du centre, se dresse une tour sombre et haute, supportée par un fragment de muraille dont les  fondations, presque à jour, dépassent encore de plus d’un pied le rocher sur lequel elles sont assises. Cette tour, nommée la Lanterne-de-Roche-Corbon, est le dernier vestige de l’un des plus anciens et des plus forts châteaux de la Touraine. Ce monument de la puissance féodale tire son nom de l’usage auquel il était destiné, car on aperçoit encore les petites embrasures par lesquelles le vigilant factionnaire examinait la campagne pour avertir les habitants du château en cas d’attaque.

Au commencement du XVe siècle, le rocher, dont les flancs abritent aujourd’hui une nombreuse population de vignerons, s’avançait jusqu’à la Loire, à laquelle il servait de quai pendant plus d’une lieue, et il n’y avait aucune trace de la levée que l’on a construite à grands frais, et sur laquelle passent les voyageurs.

C’était précisément à l’endroit où la Lanterne est située que s’élevait le château de Roche-Corbon, antique demeure du héros de cette aventure.

Le château qui formait l’habitation principale des barons de Roche-Corbon était précédé d’une vaste cour carrée dans laquelle on aurait pu ranger en bataille deux cents hommes d’armes ; cette cour était entourée d’une épaisse muraille aux angles de laquelle s’élevaient d’énormes tours crénelées. L’entrée principale avait pour ornement une de ces tours plus considérable que les autres, et la porte était défendue par un large fossé sur lequel s’abaissait au besoin un pont-levis. Quant à la partie du château habitée par le seigneur, elle était composée de deux tours rondes plus petites que les autres, et séparées par un corps de logis percé d’étroites croisées en ogive.

Ce manoir, posé comme l’aire d’un aigle sur le sommet du rocher, avait la vue de plus de cinquante mille arpents de terre qui se trouvaient de l’autre côté de la Loire. Le rocher, terrassé à grands frais d’étage en étage, offrait l’apparence d’un jardin, car on avait déguisé les terrasses par des plantations ; et précisément, au bord de l’eau, une longue et épaisse muraille servait de fortification et mettait le château à l’abri de toute surprise du côté du fleuve.

Rien de plus pittoresque et de plus varié que le paysage qui se déroulait alors que l’on descendait à travers ce jardin aérien pour venir respirer la fraicheur des eaux sous l’ombrage des tilleuls qui bordaient le rempart du côté de la Loire. En effet, la rivière forme en cet endroit un vaste bassin qui, à cette époque, présentait l'aspect d'un lac, car le fleuve n'étant pas contenu par la levée que Louis Xl fit commencer du côté d’Amboise pour préserver les campagnes qui séparent le Cher de la Loire , ce fleuve répandait alors sa nappe brillante et polie sans rencontrer d'autres obstacles que ceux qui résultaient de la nature du sol, et Tours, comme Venise, semblait élever du sein des ondes ses murailles défendues par de grosses tours; les eaux, comme une glace pure, réfléchissaient donc, sur une immense étendue, le beau ciel de la Touraine. Dans le lointain , au midi, l'on apercevait les tours de la plus ancienne cathédrale de France et les bâtiments de Saint-Julien; leurs flèches hardies, qu'on apercevait à travers le feuillage des îles dont la Loire est semée, mêlaient aux beautés de ces lieux le souvenir de l'introduction du christianisme dans les Gaules : plus loin, la vue s'arrêtait sur Saint-Sympborien , faubourg de la ville de Tours qui est posé sur le penchant d'une colline comme un village des Alpes, et tout a côté s’élevaient les bâtiments de la célèbre abbaye de Marmoutiers. Ce monastère, le village et la cathédrale, situés sur les deux rives de la Loire, étaient séparés par des espaces que les eaux, les arbres, les rochers accidentaient heureusement, et tout était disposé comme en amphithéâtre. Les eaux venaient mugir aux pieds de la belle châtelaine, qui, en tournant la tête, parcourait un autre horizon immense borné par les jolies collines qui s'entassent depuis Amboise jusqu'à Azai, devant lesquelles coule le Cher. Les prairies, les eaux, les villages, les forets, semblaient placés ‘par la main d'un habile décorateur. Enfin, ce vaste paysage

était d’autant plus complet que de chaque côté du château le rocher sur lequel il semblait assis offrait, par sa stérilité, le contraste le plus frappant. Le jardin du seigneur de Roche-Corbon se trouvait au milieu des bruyères jaunâtres qui garnissaient les flancs de cette roche inculte comme une touffe de fleurs sur des ruines.

On était au commencement du mois de novembre, qui, dans la Touraine, offre encore de belles journées : le soleil, en se levant, frappait les arbres du jardin que nous venons de décrire ; un air frais, qui semblait plutôt appartenir au printemps qu’à l’automne, agitait doucement leurs feuilles, la campagne paraissait ornée d’une beauté nouvelle.

 

Nathanaël Gobenceaux (musée Balzac, Saché)

 

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