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L'adaptation d'Émilie Sandre : Le Lys

Note de l'auteur : Émilie Sandre

Le Lys dans la vallée de Balzac, c’est d’abord le souvenir d’une lecture ancienne, et puis celui d’une absence, d’un manque. Quand je le relis, ce chef d’oeuvre universellement reconnu me raconte une autre histoire que celle de l’initiation de Félix de Vandenesse. J’entends la voix de l’autre, celle qu’on ne saisit chez Balzac que dans les interstices du récit, celle d’Henriette de Mortsauf, magnifiée et sacrifiée, qui meurt sans que l’auteur n’offre une tribune à sa douleur, ou si peu…Sa tragédie, car pour elle le destin s’accomplit plus qu’il ne se choisit, est celle, superbe, d’une lâcheté. Car elle meurt de n’avoir pas eu le courage de se livrer à l’appel passionné et désordonné des sens qui la terrasse, comme par surprise, et auquel elle ne sait opposer que les exigences du devoir. Mais son renoncement n’est pas total, son sacrifice ne conduit pas vraiment à une sublimation de la chair, elle meurt de n’avoir pas tenu Félix dans ses bras, elle meurt de ce trait acéré que lui fiche au ventre la trahison de ce jeune homme adoré qui offre toute la sève de sa jeunesse à Arabelle, la rivale en rupture de ban, libre d’aimer parce qu’elle a eu la force de secouer les chaines du devoir.
 
Dans cette perspective, Henriette perd en sainteté pour gagner en humanité et en modernité. Elle incarne ce choix éternel entre le confort du couple cimenté par la présence d’enfants et le saut vertigineux dans les gouffres de la passion, forcément incertaine et vouée à la consumation, mais qui seule peut donner intensément le sentiment d’exister. Dès lors, le personnage du comte de Mortsauf, aussi tyrannique et imbécile soit-il, apparaît aussi comme une victime de la passion, parce qu’il est une dupe, un cocu par intention, insupportable de bêtise quand il persiste à se croire à l’abri d’un revers, alors même que tout s’écroule autour de lui et que son mariage de convention, cautionné par les exigences du monde, se révèle le plus cruel et destructeur des masques. C’est cette histoire-là que j’ai voulu mettre en lumière, elle est le filigrane du roman et Balzac n’est pas en cause si le lecteur a préféré l’ignorer. C’est cette histoire-là qui justifie la condamnation finale de la destinataire de la longue lettre que constitue le roman, qui, parce qu’elle est femme, a comblé les lacunes du récit et mesuré la dose d’aveuglement et d’égoïsme que le récit révèle chez Félix. Ainsi, me suis-je employée à retourner la peau du roman pour mettre au jour ses viscères et le plateau du théâtre, et sa logique de l’incarnation, m’ont paru adaptés à l’exhibition de ce drame, de cette tragédie de l’empêchement et de la jalousie, de l’égoïsme aussi, d’une éternelle modernité pour la femme que je suis.

 

 

Extraits d'une représentation théâtrale du Lys d'Émilie Sandre, janvier 2013 (7 minutes)

 

Notes de mise en scène : Jacqueline Ordas

Dramaturgie

« La Nature est un fantasme de la Culture ». Quelle étrange citation ! Cette nature qui toujours, de quelque façon qu’elle se manifeste, reste à l’évidence notre maître inflexible en dépit de nos efforts dérisoires pour la contrôler. Le Lys dans son vase, arraché à sa sève nourricière ne peut que se faner et mourir. Ainsi Henriette, l’héroïne du roman de Balzac dont Émilie Sandre défend la cause, croit un peu naïvement à la suprématie de l’esprit humain, à la suprématie de son esprit dont elle a reconnu ou cru reconnaître l’image inversée en Felix. Elle a voulu conduire de main de maître, Monsieur de Mortsauf et son domaine, la santé de ses enfants débiles, leur avenir, et son amour incestueux pour Félix de Vandemesse. C’était sans compter avec ce baiser d’un soir qui tout au long de sa courte vie va la tarauder, la soumettre en silence et finalement la tuer bien qu’elle ait tout mis en oeuvre pour que la Chair devienne Verbe. Baiser de la mort, baiser de l’amour, ce pourrait être un sous-titre du Lys dans la valléeSi la lettre à Natalie dans le roman, tombeau élevé à Henriette par Félix, n’est pas dans la pièce de théâtre, c’est le choix dramaturgique d’Émilie Sandre qui demande au spectateur de jouer le rôle de Natalie et de découvrir la face cachée des sentiments. Avant la lettre Le Lys dans la vallée est un roman intéractif qui consent au lecteur un rôle d’interprète. Au théâtre l’auteur, qui fait s’incarner Henriette, approfondit ce caractère que nous rapportait Félix dans le roman : elle n’est plus une énigme, un portrait flou. Elle réchappe du je ne sais quoi ou du peut-être, elle est un corps souffrant auquel on rend une humanité et une réalité. Un dévoilement plus prononcé, non plus dans le genre épistolaire, mais le mystère demeure de cette féminité qui a tant fasciné Balzac.
 

Scénographie

La reflexion scénographique se fonde sur la singularité du Lys dans l’oeuvre de Balzac, un monde de l’analogie et de la métaphore. Le Lys dans la vallée c’est l’immanence, un univers de correspondances avec la Nature, proche de celui de « Werther » ou de la « Nouvelle Héloise ». Huit panneaux d’un ciel peint dont les états varieront avec les lumières. Un sol végétal. Un jardin aux vases Médicis et Chambord dont le contenu varie au gré des saisons. Quatre saisons, le temps du déroulement des événements. Les signes, toujours dans un désir de fidelité à l’esprit du roman, ce sont des accessoires et des costumes : bouquets révélateurs du refoulement impossible, robe de soie blanche décolletée pour Henriette, tous éléments affichant que la nature est complice de l’adultère non consommé. La musique et la voix d’Henriette parfois mélées, le tremblement des ombres végétales dans le jardin renvoient l’écho du trouble des deux amants.

 

 

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