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Henriette de Mortsauf

 

En mars 1835, dans la préface du Père Goriot (édition Werdet), Balzac annonce qu’il fera le portrait « d’une femme vertueuse par goût », pour répondre aux demandes de ses lectrices.

 

Dans La Comédie humaine, Henriette de Mortsauf représente ainsi le type des femmes vertueuses, mais aussi celui des femmes mal mariées.

 

Née en 1785, Henriette vit une enfance malheureuse auprès d’une mère qui lui reprochera toujours son sexe. Elle est mariée à l’âge de 17 ans au comte de Mortsauf, ancien émigré brutal et hypocondriaque. À l’instar de Renée de L’Estorade dans Mémoires de deux jeunes mariées, elle ne vit qu’à travers ses deux enfants à la santé fragile, Madeleine et Jacques. La famille est installée au cœur de la Touraine, au château de Clochegourde.

 

Henriette a 29 ans quand Félix se jette sur ses épaules lors du bal donné en l’honneur du duc d’Angoulême. Femme lys, mais aussi pavot, elle fait tout son possible pour ne pas céder à la tentation de l’adultère et impose ses conditions à Félix. Elle trouve son réconfort dans la religion et parvient à conserver sa pureté malgré son amour pour le jeune homme en qui elle reconnaît un alter ego.

 

Elle joue pour Félix le rôle de mère et de conseil afin de lui éviter les écueils du grand monde parisien. Mais elle tombe malade en apprenant la liaison de Félix avec la belle lady Dudley, et se laisse mourir de chagrin à 35 ans. Ses adieux à Félix sont déchirants et laissent percevoir ses remords de ne pas lui avoir cédé.

 

Douce et fragile, Henriette est constamment opposée aux autres personnages féminins de l’histoire. Mme de Vandenesse, Mme de Lenoncourt et Lady Dudley sont en effet des femmes froides et dures qui mettent en relief la personnalité de la jeune femme.

 

Henriette de Mortsauf est citée dans d’autres intrigues de La Comédie humaine. Sa mort « admirable » est évoquée dans Le Cousin Pons et dans Étude de femme lorsque le marquis de Listomère en lit l'annonce dans La Gazette de France. Dans Une Fille d’Ève, elle est décrite comme l’« une des plus nobles créatures de ce siècle, morte, disait-on, de douleur et d'amour pour [Félix] ».

 

 

Élise Gaborit (musée Balzac, Saché)

 

  •  Extrait 

Ses cheveux fins et cendrés la faisaient souvent souffrir, et ces souffrances étaient sans doute causées par de subites réactions du sang vers la tête. Son front arrondi, proéminent comme celui de la Joconde, paraissait plein d'idées inexprimées, de sentiments contenus, de fleurs noyées dans des eaux amères. Ses yeux verdâtres, semés de points bruns, étaient toujours pâles ; mais s'il s'agissait de ses enfants, s'il lui échappait de ces vives effusions de joie ou de douleur, rares dans la vie des femmes résignées, son œil lançait alors une lueur subtile qui semblait s'enflammer aux sources de la vie et devait les tarir […]. Un nez grec, comme dessiné par Phidias et réuni par un double arc à des lèvres élégamment sinueuses, spiritualisait son visage de forme ovale, et dont le teint, comparable au tissu des camélias blancs, se rougissait aux joues par de jolis tons roses. Son embonpoint ne détruisait ni la grâce de sa taille, ni la rondeur voulue pour que ses formes demeurassent belles quoique développées. Vous comprendrez soudain ce genre de perfection, lorsque vous saurez qu'en s'unissant à l'avant-bras les éblouissants trésors qui m'avaient fasciné paraissaient ne devoir former aucun pli. Le bas de sa tête n'offrait point ces creux qui font ressembler la nuque de certaines femmes à des troncs d'arbres, ses muscles n'y dessinaient point de cordes et partout les lignes s'arrondissaient en flexuosités désespérantes pour le regard comme pour le pinceau. Un duvet follet se mourait le long de ses joues, dans les méplats du col, en y retenant la lumière qui s'y faisait soyeuse. Ses oreilles petites et bien contournées étaient, suivant son expression, des oreilles d'esclave et de mère. Plus tard, quand j'habitai son cœur, elle me disait : « Voici monsieur de Mortsauf ! » et avait raison, tandis que je n'entendais rien encore, moi dont l'ouïe possède une remarquable étendue. Ses bras étaient beaux, sa main aux doigts recourbés était longue, et, comme dans les statues antiques, la chair dépassait ses ongles à fines côtes. Je vous déplairais en donnant aux tailles plates l'avantage sur les tailles rondes, si vous n'étiez pas une exception. La taille ronde est un signe de force, mais les femmes ainsi construites sont impérieuses, volontaires, plus voluptueuses que tendres. Au contraire, les femmes à taille plate sont dévouées, pleines de finesse, enclines à la mélancolie ; elles sont mieux femmes que les autres. La taille plate est souple et molle, la taille ronde est inflexible et jalouse. Vous savez maintenant comment elle était faite. Elle avait le pied d'une femme comme il faut, ce pied qui marche peu, se fatigue promptement et réjouit la vue quand il dépasse la robe. Quoiqu'elle fût mère de deux enfants, je n'ai jamais rencontré dans son sexe personne de plus jeune fille qu'elle. […] vous devinerez comment cette femme pouvait être élégante loin du monde, naturelle dans ses expressions, recherchée dans les choses qui devenaient siennes, à la fois rose et noire. Son corps avait la verdeur que nous admirons dans les feuilles nouvellement dépliées, son esprit avait la profonde concision du sauvage ; elle était enfant par le sentiment, grave par la souffrance, châtelaine et bachelette. Aussi plaisait-elle sans artifice, par sa manière de s'asseoir, de se lever, de se taire ou de jeter un mot. Habituellement recueillie, attentive comme la sentinelle sur qui repose le salut de tous et qui épie le malheur, il lui échappait parfois des sourires qui trahissaient en elle un naturel rieur enseveli sous le maintien exigé par sa vie. […] La rareté de ses gestes, et surtout celle de ses regards (excepté ses enfants, elle ne regardait personne) donnaient une incroyable solennité à ce qu'elle faisait ou disait, quand elle faisait ou disait une chose avec cet air que savent prendre les femmes au moment où elles compromettent leur dignité par un aveu. Ce jour-là madame de Mortsauf avait une robe rose à mille raies, une collerette à large ourlet, une ceinture noire et des brodequins de cette même couleur. Ses cheveux simplement tordus sur sa tête étaient retenus par un peigne d'écaille. (Le Lys dans la vallée)

 

 

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